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Le Sacre du Printemps

© Maarten Vanden Abeele

Chorégraphie de Pina Bausch, précédé de Common Ground(s) de Germaine Acogny et Malou Auraudo – coproduction Pina Bausch Foundation, École du Sable, Sadler’s Wells – La Villette, espace Chapiteaux, Théâtre de la Ville hors les murs.

Deux parties composent cette soirée danse qui ont pour point commun Pina Bausch et le Tanztheater de Wuppertal, Germaine Acogny et l’École des Sables. Cette confrontation artistique prend deux formes. En première partie, Common Ground(s) met en espace la gestuelle ritualisée de deux danseuses : d’une part Malou Airaudo, danseuse au long parcours artistique avec Pina Bausch et créatrice de rôles majeurs au Wuppertal Tanztheater – notamment dans Iphigénie en Tauride (1974), Orphée et Eurydice (1975), Café Müller (1978) et bien d’autres – et qui fut aussi l’élue du Sacre du Printemps.

D’autre part Germaine Acogny, danseuse et chorégraphe, fondatrice et directrice de Mudra Afrique de 1977 à 1982, école pensée sur le modèle de Mudra Bruxelles créée par Béjart, qu’elle avait rencontré. Elle a ensuite créé à Toulouse en 1985 le Studio-École-Ballet-Théâtre du 3ème Monde, tout en présentant des chorégraphies et en dansant. De retour au Sénégal en 1995 elle fonde le Centre international de danses traditionnelles et contemporaines Africaines, lieu de formation et d’échange entre danseurs africains et danseurs du monde entier, puis poursuit son travail de transmission en même temps que de création avec L’École des Sables qu’elle créée en 2004, à Toubab Dialaw au sud de Dakar (cf. notre article du 22 février 2021).

Common ground[s] présenté en première partie de soirée est nourri de ce syncrétisme recherché entre la danse africaine traditionnelle et la danse contemporaine. Malou Airaudo et Germaine Acogny fondent leurs alphabets l’un dans l’autre dans une quête d’espace physique et mental et à travers quelques objets transitionnels sacrés et magiques qui habitent leurs univers. Cette courte pièce (30’) est suivie d’un entracte de même durée pour laisser le temps aux techniciens d’installer la tourbe du Sacre du Printemps, chorégraphie technique des plus précises.

Reprise pour 35’ d’un Sacre du Printemps interprété par trente-quatre danseuses et danseurs africains choisis parmi une centaine venant de toute l’Afrique. Célèbre composition musicale en deux tableaux : L’Adoration de la Terre où s’exprime la joie d’une terre féconde et Le Sacrifice où l’élue sera livrée et sacrifiée aux dieux. Pina Bausch l’avait chorégraphiée en 1975. Le passage de témoin s’est fait entre les deux continents et les deux compagnies, au cours de six semaines de répétitions et de transmission, sous la direction artistique de trois danseurs emblématiques du Wuppertal Tanztheater – Josephine Ann Endicott, Jorge Puerta Armenta et Clémentine Deluy. Le résultat est bouleversant dans l’énergie, le don de soi, l’explosion de joie puis de douleur, le statut de l’élue en robe rouge, vibrante d’une peur majuscule, à juste titre (Luciény Kaabral).

© Maarten Vanden Abeele

La pièce vient de si loin ! Chorégraphiée par Vaslav Nijinski pour les Ballets Russes et dansée en1913 au Théâtre des Champs-Élysées, tous les grands chorégraphes s’y sont intéressés, de Maurice Béjart en 1959 à Sasha Waltz en 2013, passant par Angelin Preljocaj en 2001, Emmanuel Gat en 2004, Jean-Claude Gallotta en 2011 pour n’en citer que quelques-uns, chacun avec sa sensibilité et son regard singulier l’a rêvé puis réalisé. Heddy Maalem chorégraphe franco-algérien a présenté la pièce en 2004 avec quatorze danseurs d’Afrique de l’Ouest. D’une musique lente et calme, parfois répétitive parfois affolée se lève le vent de sable jusqu’au cataclysme. Les danseurs montent en tension et en tremblements, en puissance, se séparent et se retrouvent, se placent en cortège, au son des clarinettes, cuivres, percussions et cordes. Le solo du basson revient en boucle, comme ces rondes de mélodies populaires.

© Maarten Vanden Abeele

De la dissonance à la montée rythmique et frénétique de la musique, comme des danseurs au cours de l’évocation des ancêtres et de leur action rituelle, se met en place la danse sacrée du sacrifice qui se fermera par un coup de timbale final. Les danseurs donnent toute leur énergie et font corps, face à la fragilité de l’élue. Tous sont à féliciter, ils habitent l’œuvre et sont en tension et à l’écoute du collectif dans leurs errances. Leur traversée chorégraphique est puissante et belle.

L’idée de cette transmission du Wuppertal Tanztheater aux danseurs de l’École des Sables pilotée par Germaine Acogny est un geste artistique autant que symbolique que Pina Bausch aurait sûrement apprécié!

Brigitte Rémer, le 26 septembre 2022

Common Groups – Chorégraphie et interprétation Germaine Acogny et Malou Auraudo – composition musicale Fabrice Bouillon Laforest, musique enregistrée sous la baguette de Prof. Werner Dickel, ingénieur du son Christophe Sapp – costumes Petra Leidner – lumière Zeynep Kepekli – dramaturgie Sophiatou Kossoko.

Le Sacre du Printemps – Chorégraphie Pina Bausch – musique Igor Stravinsky – scénographie et costumes Rolf Borzik – collaboration Hans Pop. Direction artistique Josephine Ann Endicott, Jorge Puerta Armenta, Clémentine Deluy – direction des répétitions Çağdaş Ermiş, Ditta Miranda Jasjfi, Barbara Kaufmann, Julie Shanahan, Kenji Takagi. Avec : Rodolphe Allui, Sahadatou Ami Touré, Anique Ayiboe, D’Aquin Evrard Élisée Bekoin, Gloria Ugwarelojo Biachi, Khadija Cissé, Sonia Zandile Constable, Rokhaya Coulibaly, Inas Dasylva, Astou Diop, Serge Arthur Dodo, Franne Christie Dossou, Estelle Foli, Aoufice Junior Gouri, Luciény Kaabral, Zadi Landry Kipre, Bazoumana Kouyaté, Profit Lucky, Babacar Mané, Vasco Pedro Mirine, Stéphanie Mwamba, Florent Nikiéma, Shelly Ohene-Nyako, Brian Otieno Oloo, Harivola Rakotondrasoa, Oliva Randrianasolo (Nanie), Asanda Ruda, Amy Collé Seck, Pacôme Landry Seka, Gueassa Eva Sibi, Carmelita Siwa, Amadou Lamine Sow, Didja Tiemanta, Aziz Zoundi.

Du 19 au 30 septembre 2022 à 20h, samedi et dimanche à 19h – Programmation du Théâtre de la Ville hors les murs, site : www.theatredelaville-paris.com, à La Villette, espace Chapiteaux site : www.lavillette.com, métro : Porte de Pantin.

Lion d’Or de la Biennale de Venise, à Germaine Acogny

© École des Sables

La danseuse et chorégraphe, fondatrice de L’École des Sables, à Toubab Dialaw, au sud de Dakar, (Sénégal) s’est vue attribuer le Lion d’Or 2021 de la Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière.

Germaine Acogny fonde en 1968 son premier studio de danse, à Dakar. Elle a vingt-quatre ans et marche sur les pas de sa grand-mère, prêtresse Yoruba, qui marque son parcours et sa pensée. Son apprentissage passe par les danses traditionnelles africaines avant de rencontrer la danse, classique et moderne ; elle cherche déjà sa propre écriture.

En 1977, suite à sa rencontre avec Maurice Béjart, elle crée au Sénégal une école inspirée de Mudra Bruxelles, centre de formation créé par le chorégraphe. Elle fonde Mudra Afrique à Toubab Dialaw, une école professionnelle, soutenue par le Président Léopold Sédar Senghor, propose des stages internationaux de danse africaine et enseigne dans différentes régions du Sénégal, dont Fanghoumé en Casamance, ainsi que dans le monde. Après la fermeture de Mudra Afrique en 1982, elle danse, chorégraphie, enseigne et devient un véritable passeur de la danse et de la culture africaine notamment à Bruxelles où elle s’est installée, près de la Compagnie Maurice Béjart. A Paris, le Théâtre de la Ville soutient son travail au fil des ans et lui a rendu un bel hommage – par visio – en décembre dernier.

En 1980, elle écrit Danse africaine, édité en trois langues, qui livre les clés de ses recherches, crée en 1985 le Studio-École-Ballet-Théâtre du 3ème Monde à Toulouse, avec Helmut Vogt, son époux. Elle poursuit sa carrière de danseuse et chorégraphe, élabore ses propres pièces et travaille avec le chanteur Peter Gabriel. Elle obtient le London Contemporary Dance and Performance Award en 1991.

Au long de son parcours, Germaine Acogny crée plusieurs solos, forme sur laquelle elle reviendra souvent : Sahel en 1987, Ye’Ou en 1988 ; plus tard, en 2001, Tchouraï, dans une chorégraphie de Sophiatou Kossoko et une mise en scène de Christian Rémer, voyage imaginaire qui retrace les moments importants de sa vie, présenté au Théâtre de la Ville ; Songook Yaakaar, chorégraphie en partenariat avec Pierre Doussaint, en 2014, à la Maison de la Danse de Lyon ; en 2015, À un endroit du début, dans une mise en scène de Mikaël Serre, pièce qui lie l’histoire de l’Afrique et de l’Europe ; en 2018, Mon Élue noire/Sacre numéro 2, dans une chorégraphie d’Olivier Dubois sur la musique originale du Sacre du Printemps, pièce pour laquelle elle reçoit le New York Bessie Award.  

Toujours dans la même quête entre la nature et le cosmos, et sa recherche de syncrétisme entre la danse africaine traditionnelle et la danse contemporaine, sous toutes leurs formes, Germaine Acogny crée, au-delà des solos, d’’autres pièces, de formats divers : en 2003, Fagaala en collaboration avec le chorégraphe Kota Yamazaki, sur le génocide rwandais, pièce pour laquelle ils reçoivent un Bessie Award à New York. En 2007 elle réalise et présente à Bamako la partie chorégraphique de L’Opéra du Sahel, création africaine produite par la Fondation Prince Claus des Pays-Bas. En 2008 elle se rapproche de la Compagnie Urban Bush pour créer Les Écailles de la mémoire, pour sept danseuses et sept danseurs, en partenariat avec la chorégraphe Jawole Willa Jo Zollar, pièce qui explore la convergence de l’histoire africaine et américaine

Son chemin artistique et la présentation de pièces chorégraphique aux publics de tous les continents a toujours été mené en parallèle aux actions de formation, résidence, master class qu’elle a données dans le monde entier. Germaine Acogny était retournée au Sénégal dès 1995 où elle avait fondé un Centre international de danses traditionnelles et contemporaines Africaines, lieu d’échange entre danseurs africains et danseurs du monde entier, mais aussi lieu de formation pour les danseurs de toute l’Afrique. Avec eux, elle a recherché les langages de la danse africaine contemporaine tout en transmettant le respect de la tradition. En 2004, l’École des Sables avait vu le jour à Toubab Dialaw – où elle a invité les grands chorégraphes comme Susanne Linke, Robyn Orlin, Salia Sanou, Gregory Maqoma – en même temps que sa compagnie de danse Jant-bi. Depuis janvier 2015 elle en a transmis la direction artistique à son fils, Patrick Acogny.

Germaine Acogny présentera sa dernière pièce solo, Somewhere at the beginning/Quelque part, au commencement, où s’entremêlent sa mémoire individuelle et la mémoire collective, au 15ème Festival International de Danse Contemporaine de La Biennale di Venezia, qui se tiendra du 23 juillet au 1er août 2021, et qui vient de lui attribuer le Lion d’Or.

Brigitte Rémer, le 22 février 2021

École des Sables, Toubab Dialaw, Région de Dakar, Sénégal – e-mail : info@ecoledessables.org – Biennale de Venise :  https://www.labiennale.org/en/news/2021-lion-awards-dance